Éloge de l’ombre : Un mot de Catherine Martin

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Une « méditation cinématographique » en trois chapitres

 

Au centre de mon travail de cinéaste se retrouve ce désir: celui d’offrir au spectateur la  possibilité de percevoir cette notion de présence au monde par un cinéma qui fait appel à  sa sensibilité et à sa liberté d’interprétation. C’est l’objectif que je me fixe à chacun de mes films.

Dans Éloge de l’ombre, la « méditation cinématographique » que je lui propose est simple et accessible, car elle s’adresse aux sens et au regard que chacun d’entre nous  porte sur les choses et sur la vie. Le film est une invitation à être enveloppé, à être emporté  par une rêverie, voire envoûté par un moment volé au réel et sublimé par le cinéma. D’ailleurs, c’est selon moi la force du cinéma et parfois son rôle : nous faire du bien et nous aider à vivre.

 

La lecture de l’essai littéraire Éloge de l’ombre de l’écrivain japonais Junichiro Tanizaki a été le point de départ qui m’a permis de créer le film que depuis longtemps je rêvais de faire autour de l’ombre et de méditer sur mon art, le cinéma, ce royaume des ombres. Le livre de Tanizaki m’a remuée mais il m’a surtout intriguée. J’ai dû le lire des dizaines de  fois et je n’en ai toujours pas percé le mystère. Ce que j’en ai retenu, c’est ce qui est  montré dans la première partie du film: un rapport à la fois simple et complexe à la culture traditionnelle japonaise et au passage du temps. J’ai voulu évoquer, tel que le décrit  Tanizaki, le lien qui nous unit aux objets du quotidien.

Ces choses magnifiées entre autres par la pénombre, mais surtout par le regard qu’on pose sur elles et qui nous ramène à notre présence au monde. J’ai aussi voulu montrer la « fabrication » de l’ombre avec des artisans, comme celui qui fabrique des bougies ou celui qui donne la couche de finition à un objet en laque.

Très tôt dans le processus de recherche et d’écriture, je me suis plongée dans le monde des ombres, autant du point de vue du cinéma que de celui de ses origines, remontant de la caverne de Platon au théâtre d’ombres, de la camera obscura à la lanterne magique, jusqu’à l’avènement du cinéma.

Comme le thème de l’ombre est très vaste, j’ai opté pour une approche non didactique et non exhaustive. Tous mes efforts d’écriture et de fabrication du film ont été dirigés en ce sens. C’est un film qui s’adresse avant tout aux sens et qui s’apparente à un rêve, à une pénombre habitée de mouvements fluides où les liens se font d’une manière plus sensorielle qu’intellectuelle, plus intuitive que rationnelle. J’ai mis l’accent sur la beauté des choses éphémères, imparfaites, modestes pour susciter chez le spectateur une forme d’imprégnation.

Par ce parti-pris d’évocation, j’ai voulu donner à voir et à faire ressentir comment les ombres, celles de notre vie quotidienne aussi bien que celles au cœur des arts de la représentation que sont, notamment, le dessin, la peinture, la photographie, le théâtre et le cinéma, peuvent être essentielles dans notre vie. Je voulais aussi aborder notre rapport au monde, celui qui nous entoure et celui qui est en nous-mêmes, tout comme notre relation au temps qui passe et à la fragilité de la vie.

Éloge de l'ombre